lunes, 3 de febrero de 2020

Molière, comme Shakespeare

Molière, comme Shakespeare, le sait ; comme ce grand devancier, il se meut, on peut le dire, dans une sphère plus librement étendue, et par cela supérieure, se gouvernant lui-même, dominant son feu, ardent à l'oeuvre, mais lucide dans son ardeur. Et sa lucidité, néanmoins, sa froideur habituelle de caractère au centre de l'oeuvre si mouvante, n'aspiroit en rien à l'impartialité calculée et glacée, comme on l'a vu de Goethe, le Talleyrand de l'art: ces raffinements critiques au sein de la poésie n'étoient pas alors inventés. Molière et Shakespeare sont de la race primitive, deux frères, avec cette différence, je me le figure, que dans la vie commune Shakespeare, le poëte des pleurs et de l'effroi, développoit volontiers une nature plus riante et plus heureuse, et que Molière, le comique réjouissant, se laissoit aller à plus de mélancolie et de silence.

Sainte-Beuve. Molière, en Oeuvres de Molière. Paris: J. Hetzel, 1869. P. 20.

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